HUSH, HUSH ! Reprise à Paris le 25 Avril de 'Art of Metal III' pièce phare du 21ième siècle de Robin (Alain Billard après 15 ans saura-t'il conserver toute sa sauvagerie de la création ?) ; beaucoup de compositeurs abandonnent leur site Internet personnel, en 2023 et 2024, dommage ; centenaire en Janvier de Nono totalement occultè, heureusement, celui de Boulez en 2025 promet beaucoup.

Concerts… ajout bienvenu [@mail en bas], si musique > 80% après 1941, pays Francophone, même format de données, avec lien-concert, '*' si création et '0€' si gratuit, max. 180 caractères +++
2024-04-26 - Ve (20.00) | Paris_Philharmonie | Intercontemporain_ensemble | David (De vif Bois*, Riff), Gisladottir (ST*), Robin (Art of Metal III) - …+++
2024-04-06 - Sa (18.00) | Lyon_Opéra | Lyon_orchestre_opéra | Xenakis (6 chansons), Dusapin (Attacca, Stanze), Saunders (Stasis II), Poppe (Brot) - …+++
2024-03-29 - Ve (20.00) | Paris_Philharmonie | Intercontemporain_ensemble | Suárez (5 Rivers*), Urquiza (ST*), Larcher (Mountain), Saunders (visible Trace), David (60 doigts) - …+++
2024-03-28 - Je (20.00) | Paris_SalleCortot | Variances_ensemble | Scelsi (Krishna et Radha), Pécou (Gamelan), Saariaho (Mirrors), Louati (Miroirs), Yu (ST*), Pécou (La tierra) - …+++

ÉDITORIAUX - HUMEURS

 

Voici en toute modestie quelques regards liés à l'actualité, sans le recul de la Base de données, ni l'objectivité actualisée des Informations brutes… mais sans partialité.

10 Mars 2024 Éditorial n°5 10 Mars 2024… la question de la postérité pour les compositeurs(trices) de la Contemporaine
30 Avril 2022 Relevé d'Apprenti n°25 22 Avril 2022… mort à 87 ans de Harrison Birtwistle, compositeur Anglais moderniste majeur
16 Février 2022 Relevé d'Apprenti n°24 Tristan Murail, revisité par le Festival Présences
30 Décembre 2019 Relevé d'Apprenti n°23 Jean-Claude Risset, le compositeur le plus innovant de sa génération
28 Août 2017 Relevé d'Apprenti n°22 Un nouveau livre majeur en 3 volumes, par Guillaume Kosmicki, sur la Musique moderne
3 Mars 2017 Éditorial n°4 Le XXL-Scope, un nouveau développement majeur du site MCI
9 Janvier 2016 Relevé d'Apprenti n°21 5 Janvier 2016… mort à presque 91 ans du compositeur et entrepreneur phare de la Musique Contemporaine, Pierre Boulez
27 Décembre 2014 Relevé d'Apprenti n°20 Novembre 2013-2014, une année faste pour Gérard Grisey, sans prétexte d'anniversaire
4 Juin 2013 Relevé d'Apprenti n°19 La mort de Henri Dutilleux, à 97 ans, un classique du moment, entre temporel et intemporel
19 Mai 2013 Relevé d'Apprenti n°18 Dans moins d'un mois, c'est le centenaire de la naissance de Maurice Ohana, et à ce jour seuls…
28 Décembre 2012 Relevé d'Apprenti n°17 Décès attendu d'un des très rares compositeurs de sa génération à avoir pleinement intégré l'informatique musicale, Jonathan Harvey
7 Mars 2011 Relevé d'Apprenti n°16 Création ambitieuse de "La Métamorphose", opéra de chambre de Michaël Levinas, d'après Kafka
22 Février 2011 Éditorial n°3 Vive la diversité et la coopération Web 2.0, à bas la notoriété concentrée
26 Septembre 2010 Relevé d'Apprenti n°15 Décès absurde et consternant d'un compositeur météore presque trentenaire, Christophe Bertrand
27 Octobre 2009 Relevé d'Apprenti n°14 Dix CD de référence pour la décennie 2000-2009, selon J.-P. Derrien et D. Jameux… et des contrepoints !
23 Juin 2009 Relevé d'Apprenti n°13 Création scénique de "Pastorale" de Gérard Pesson : un spectacle complet
28 Avril 2009 Relevé d'Apprenti n°12 Concert monographique de Frédéric Pattar (musique de chambre) : une expressivité surprenante
10 Octobre 2008 Relevé d'Apprenti n°11 Révélation surprise d'un jeune compositeur Scandinave à Présences Paris, Jan Erik Mikalsen
25 Septembre 2008 Relevé d'Apprenti n°10 Décès d'un compositeur micro-tonal extrême, Horatiu Radulescu
18 Septembre 2008 Relevé d'Apprenti n°9 Décès d'un compositeur indépendant, sérieux et provocateur, Mauricio Kagel
15 Juillet 2008 Relevé d'Apprenti n°8 La découverte approfondie du très original et saturateur Frank Bedrossian, avec 3 concerts 2E2M
26 Janvier 2008 Relevé d'Apprenti n°7 "Les Sacrifiées", opéra de chambre de Thierry Pécou, ou l'engagement citoyen
16 Décembre 2007 Relevé d'Apprenti n°6 La Musique Contemporaine en 100 disques, un nouveau livre
5 Décembre 2007 Relevé d'Apprenti n°5 Décès brusque d'un compositeur phare, Karlheinz Stockhausen
22 Septembre 2007 Relevé d'Apprenti n°4 Création Française de "Neither", pseudo-opéra de Morton Feldman de 1977
23 Juin 2007 Relevé d'Apprenti n°3 "Wagner dream", opéra de Jonathan Harvey… pour le répertoire ?
12 Mai 2007 Éditorial n°2 La vraie faiblesse congénitale de la Musique Contemporaine, le «share of voice».
8 Mars 2007 Relevé d'Apprenti n°2 Thomas Adès et Présence 2007
15 Novembre 2006 Relevé d'Apprenti n°1 L'opéra de chambre et "Faustus" de Pascal Dusapin
24 Octobre 2006 Éditorial n°1 Ouverture officielle du site Web Musiquecontemporaine.info

Relevé d'Apprenti n°20 : 27 Décembre 2014... Novembre 2013-2014, une année faste pour Gérard Grisey, sans prétexte d'anniversaire.

 

 


Gérard Grisey
Photo: D.R.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Grégoire Simon
Photo: D.R.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ictus
Photo: D.R.

 

 


Rosas
Photo: D.R.

 

 


Orbites-craie
Photo: D.R.

 

L'année musicale de Novembre 2013 à 2014 a été marquée, à Paris, par 3 évènements rarissimes (exceptionnel est un terme galvaudé) quand il s'agit d'un compositeur récemment disparu ; d'abord, la reprise du cycle "Les Espaces Acoustiques"* en un concert entièrement dédié, à la Cité de la Musique, à La Villette, ensuite, la création Française d'une chorégraphie d'Anna de Kersmakker sur sa pièce emblématique "Vortex Temporum"* avec l'ensemble Belge Ictus au Théâtre de la Ville, et enfin la création d'une adaptation-transcription (par un autre compositeur, Brice Pauset) pour petit ensemble d'une partie (la berceuse) de sa pièce emblématique, et prémonitoire Requiem (comme Mozart), "Quatre Chants pour Franchir le Seuil"* (déjà souvent reprise). Et en plus, cerise sur le gâteau, j'ai assisté à une exécution privée de sa toute première pièce au catalogue pour 3 musiciens, "Echanges"* (1968) -étrange-, pour piano préparé (joué à 2) et contrebasse, j'ai reçu le MP3/MP4 du concert sur le vif des "Chants de l'Amour"* (1984), pour 12 voix mixtes et électronique, totalement revisités, dans une interprétation expressionniste où les jeux des voix et de l'ordinateur sont exacerbés) et j'ai vécu la première audition privée d'"Anubis-Nout"* (1983 et 1990, officiellement en 2 versions, pour clarinette contrebasse ou saxophone basse), adaptée pour un instrument à vent encore plus bas (dans le spectre sonore) -tout aussi étrange-.
Ne nous y trompons pas, tout cela est une aubaine et une profusion sans pareille. Car même pour un compositeur vivant -et a fortiori pour un compositeur mort depuis une quinzaine d'années comme Grisey-, la reprise, au moins, d'une création, 2 ans après le premier concert, dans la même ville, est tellement rare que si l'on pose la question à des mélomanes avertis ou à des professionnels, ils ne peuvent guère citer plus de 5 cas étalés sur plus de 10 ans (en comprenant Boulez et Dutilleux, en France, c'est dire!). Eh bien oui, c'est cela la triste réalité de la Musique Contemporaine aujourd'hui… bien content le compositeur qui reçoit une commande dont la création est bien préparée-travaillée par les instrumentistes (autrement que par une unique répétition générale complète) et qui peut éventuellement tourner un peu, en étant jouée une 2ème fois (pas ailleurs, en région voire à l'international), au-delà, ne pas y penser, la création musicale c'est pour de la consommation immédiate et à court terme dans notre Société (disons-le) superficielle d'aujourd'hui, et cela même si la pièce est géniale (dans la réalité objective… je ne veux pas dire dans tel compte-rendu des médias, alors souvent encenseurs, mais là sans risque d'être contredits, car la pièce en question ne sera quasiment jamais rejouée). D'ailleurs, parmi les compositeurs disparus d'à peu près la même génération que Grisey, les pièces de leur catalogue ne sont quasiment jamais reprises sauf si le compositeur fait l'objet d'un lobby d'un groupe-étendard particulier ou d'une corporation qui le parraine (les -bienheureux- cas de Jean-Louis Florentz ou d'Olivier Greif) ou bien d'un tropisme avec les musiques actuelles (les musiques de consommation, souvent non écrites) comme le Rock ou la Techno (tel Fausto Romitelli).
Alors au moins 6 Grisey-évènements en moins de 12 mois, dans des interprétations très différentes ou dans des adaptations-transpositions nouvelles, c'est une concordance inespérée de planètes (sans trou noir, pour faire allusion à sa pièce de 1990… "Le Noir de l'Étoile"* pour 6 percussionnistes spatialisés et électronique), ou bien peut-être, qui sait (?), que son temps vient vers nous inexorablement.
Concentrons-nous sur les 3 évènements publics Parisiens et commençons par "Les Espaces acoustiques", un cycle fondateur de la musique dite spectrale qui ne peut faire l'objet que d'un concert entier si l'ensemble des pièces constitutives est joué, compte tenu de sa durée (au moins 90 minutes de musique, sans compter l'entracte), de sa cohérence et de son amplitude (effectifs croissants depuis la pièce solo jusqu'au grand orchestre), même si chacune des 6 pièces peut être jouée séparément ; à la fois manifeste (spectral) et emblématique laboratoire d'écriture (spectrale) au lent déploiement, l'œuvre offre à l'alto qui est un fil rouge, aux trombone-contrebasse pour leurs appels célèbres, aux percussions et aux 4 cors solistes, une place prépondérante ; le 14 Décembre 2013, à la Villette, tout l'orchestre constitué d'élèves du CNSMDP et de solistes de l'«Intercon» dirigés par Pascal Rophé (sensuel) était superlatif, mais la standing ovation de la salle à la fin est allée d'abord à Grégoire Simon, altiste de l'Ensemble Intercontemporain, qui a assuré cette redoutable partie soliste, et, naturellement, comme un juste hommage, je me suis tourné vers lui pour quelques questions informelles.
MCI : votre interprétation transcendante de la pièce pour alto solo, "Prologue" (la 1ère du cycle des "Espaces acoustiques"), et votre intervention à une récente table ronde, toutes 2 à la Cité de la Musique à Paris, poussent à quelques questions de curiosité (pêle-mêle)… à votre avis, pourquoi cette pièce n'est-elle pas jouée en concert seule, par des altistes de concerts, dans leur programme classique ou bien en bis sous forme d'extrait ? Est-ce la difficulté d'exécution, l'estampille musique de création récente, les quelques dissonances, la longue durée (15 minutes), l'âge de l'interprète (vous êtes jeune, vous avez 28 ans), l'appartenance ou pas à une formation spécialisée (vous êtes membre de l'Ensemble Intercontemporain depuis 2012) ou encore autre chose ? dans votre interprétation, à la différence d'autres, certes rares, de notre connaissance, vous avez obtenu une progression continue et palpable dans la tension et l'émotion, était-ce voulu et si oui, comment l'avez-vous conçue-réalisée (y compris dans le réglage de votre instrument) ? comme le catalogue de Gérard Grisey est limité, certains transcriptions commencent à voir le jour (par exemple, celle des "Quatre Chants pour Franchir le Seuil" pour petit ensemble), à votre avis une telle transcription serait-elle possible, souhaitable, utile (autres ?) pour ce "Prologue" joué seul ou en bis par des violonistes ou des violoncellistes, ce qui permettrait dans le cas des bis, de sortir des sempiternelles suites ou partitas de Bach ? au cours de votre participation à la table ronde, l'animateur vous a demandé si la musique de Gérard Grisey en général, et le "Prologue" en particulier, était très «groove», que veut-on dire par ce mot trendy (à la mode) dans la Musique Contemporaine aujourd'hui, en liaison avec les musiques actuelles, comment percevez-vous cette sensation «groovy», quel en est l'effet attendu pour le mélomane qui écoute (au-delà de la simple pulsation) ?
Réponses de Grégoire Simon, interprète de l'alto solo au concert de la Villette en Décembre 2013 :
G.S. : si "Prologue" est rarement joué seul en concert, c'est je crois avant tout parce que Grisey a conçu 2 versions de la pièce, une version dite solo lorsque la pièce est intégrée dans le cycle global, et une version dite solo avec résonateurs accoustiques si la pièce est jouée indépendamment. Or (et je ne suis malheureusement pas renseigné précisément sur ce point) ces résonateurs demandent beaucoup de matériel et d'organisation pour ne servir finalement que d'espace, de réverbération naturelle. Je dois dire également que, hormis la difficulté qui peut rebuter certains altistes, prise séparément, le "Prologue" est bien plus austère que les autres pièces du cycle (de part l'absence de pâte sonore orchestrale), et qu'il est difficile pour l'interprète de tenir l'arc de ce long développement, qui prend vraiment tout son sens dans le cycle entier.
Ce qui me mène à votre deuxième point, et votre compliment me touche particulièrement, car ça a été pour moi le défi principal dans l'exécution de la pièce. Je crois qu'il y a certains effets de rubato expressifs ou de nuances, qui, aussi charmants qu'ils soient, desservent la pièce à la longue. Grisey demande des fluctuations de tempo bien spéciales, et il faut savoir réserver ses effets pour porter les lignes plus loin. Je travaille aussi beaucoup ces temps-ci sur des synthés analogiques et ça m'a aidé, je crois, à apprécier l'écoute des processus, des paramètres qui se modifient peu à peu, en tournant légèrement quelques boutons. Pour le réglage de l'instrument, il faut détendre la corde de 'do' d'un demi-ton pour obtenir la note-pédale 'si', mais ce n'est pas particulier à mon interprétation.
Quand au "Prologue" (transposé) pour violon ou violoncelle… pourquoi pas, mais je pense que la pièce ne serait pas équilibrée au violon. Sa tessiture est trop aigüe pour pouvoir travailler aussi longtemps un spectre harmonique sans taper sur les nerfs du public, il y a besoin de cette sensation de vibration que provoque la note grave 'si', jouée en rythme de battements de cœur. Le violoncelle serait sans doute intéressant, mais la pièce est déjà de haute voltige pour l'alto (beaucoup de saut de cordes, de tessitures, intervalles extrêmes), et il faudrait une virtuosité assez inouïe de la part du violoncelliste pour que la pièce ne devienne pas heurtée. (mais ça viendra, j'en suis sûr !)
Au sujet du groove chez Grisey, je crois qu'il y a un malentendu. Je trouve la musique de Grisey tout sauf groovy !! Ce serait bien plutôt un élément de la musique de Fausto Romitelli. En revanche, si la musique de Grisey peut toucher plus que d'autres les amateurs de musiques actuelles, expérimentales, c'est je pense que la radicalité de son langage ne fait pas référence à beaucoup d'œuvres du passé. Du coup, toutes les oreilles sont à armes égales, et on se laisse prendre directement par la qualité évidente du son, son côté psychédélique aussi (déformations, temps étendu), son rapport sensoriel très direct. A quand la synthèse Grisey-groove !! J'attends avec impatience ! Ou bien, est-ce déjà toute la techno, de Monolake** à Marcel Dettman*** ??

Après ce témoignage bien vivant (remercions Grégoire Simon pour son ouverture à ses questions non-conformes, voire inconfortables, et ce d'autant plus que sa prestation est visible et audible en vidéo*), comme un court avant-propos à cet éditorial, détaillons maintenant un peu les composantes des "Espaces acoustiques" : composés sur une longue durée (1974-1985), ils comprennent 6 pièces distinctes, (1) "Prologue" (pour alto seul : une cellule mélodique unique jouant sur les hauteurs d'un spectre d'harmoniques sert d'axe et de point de repère à une sorte de spirale), (2) "Périodes" (pour 7 musiciens de chambre : 3 types de séquences, dynamique/tension croissante, dynamique/détente progressive et statique/périodicité, analogues à la respiration humaine avec inspiration, expiration, repos), le titre évoquant une périodicité vécue ici comme générant de la pesanteur, mais sans ostinato, (3) "Partiels" (pour 18 musiciens en petit ensemble, une pièce presque théâtrale, marquée par des appels graves et puissants (*minute 33 environ), longuement dérivés, joués au trombone avec sourdine et contrebasse, qui est, avec "Dérives", le manifeste de la Musique Spectrale, et où le temps, en expansion, se dilate davantage), (4) "Modulations" (pour 33 musiciens en grand ensemble, avec une dérive impalpable, sans repères, à la fois lente et dynamique), (5) "Transitoires" (pour grand orchestre, avec prédominance des cuivres et une écriture rythmique vertigineuse pour le chef et les fameux cinglements de contrebasses, *minute 76 environ), et (6) "Épilogue" (pour 4 cors soli et grand orchestre, avec reprise par les 4 cors du matériau de "Prologue", après un solo-litanie de l'alto, *minute 84 environ), sachant qu'il y a un fil rouge (l'alto) tout du long et des ponts (thématiques) le long des 6 pièces et de la fin d'une pièce à la suivante. Comme l'a écrit en substance le compositeur, l'unité de ce cycle est réalisée par la similitude formelle des différentes pièces, et par 2 points de repères acoustiques : le spectre d'harmoniques et la périodicité, avec l'ambition de ne plus composer avec des notes, mais avec des sons, de ne plus composer seulement les sons, mais la différence qui les sépare (subjectivement à l'écoute, et objectivement dans la partition), agir sur ces différences, en prenant comme modèle les phénomènes expérimentés depuis longtemps dans les studios de musique électronique (mimés par les instruments acoustiques) ; enfin, il ne fait pas oublier le tropisme récurrent de Grisey (déjà dans "Echanges" en 1968 !) pour la théâtralisation teintée d'humour-facétie au cours du cycle : à la fin de "Périodes" (*minute 28 environ), l'altiste jouant à distance de quart de ton avec le violoniste se met à s'accorder sur scène ; vers la fin de "Partiels" (*minute 50 environ), les interprètes s'agitent (froissement de pages, frottement de la colophane, bruits divers…) parasitant le quasi silence ; à la toute fin de "Partiels" (*minute 51 environ), le coup de cymbales prêt à résonner est tout à coup effacé par l'extinction des lumières juste avant l'entracte, nécessité par le changement de plateau, un peu comme dans le film d'Hitchcock et son auto-remake (L'Homme qui en Savait Trop, 1934, 1956), avec le coup de gong au concert qui masque le bruit du coup de revolver (ou encore, quand "Partiels" est joué seul, la théâtralisation de la -fausse- recherche de l'accord sur le 'la' par les musiciens au début de la pièce). Un concert mémorable, environ 5 ans après la précédente exécution du cycle entier à Paris… donc rendez-vous (au mieux) en 2019 !

Parlons, en second lieu, de cet évènement (pas seulement Parisien, puisque le spectacle est parti d'Allemagne, pour tourner en Belgique, et aussi en province) qu'a été la chorégraphie de la pièce phare (et difficile d'accès) de Grisey, "Vortex Temporum", par le ballet Rosas d'Anne Teresa de Keersmaeker ; puisque c'est un spectacle pour le plus grand nombre et que le "Vortex" (1996, pour piano, flûte, violoncelle, clarinette, violon et alto, avec un chef… Georges-Elie Octors) est d'accès difficile, on pouvait légitimement se demander si le public viendrait à 4 ou 5 séances (oui… salles combles), si le public du ballet serait d'accord avec le public mélomane (oui… bravos enthousiastes) et comment la musique, jouée en direct par l'Ensemble Belge Ictus passerait, avec une longue première partie sans danseurs (oui, c'est passé… mais en émoussant, dans la partition, les aspérités-complexités rythmiques et les dissonances), et comment la chorégraphie passerait, pour une pièce musicale essentiellement abstraite (oui, c'est passé… mais en transposant-simplifiant la question existentielle de la pièce -le temps- dans un pseudo-espace à 2 dimensions symbolisé par la trajectoire de planètes) ; Anne Teresa de Keersmaeker a ainsi compris (ou à dessein a simplifié) la complexité du "Vortex" comme une longue série de répétitions de tourbillons et de vertiges (sans aller jusqu'aux minimalistes Américains) que ses danseurs ont mimé, avec accélérations, arrêts, mouvements au ralenti, comme des girouettes de clochers, parfois synchrones, d'autres fois asynchrones entre eux et avec les musiciens (qui étaient eux-aussi mus-bougés-transportés en tournant) ; ici, donc, chacun des 7 danseurs est associé à un musicien, les instrumentistes d'Ictus s'associent au danseurs de la compagnie Rosas, chaque danseur phase-mime ses mouvements sur l'une des parties instrumentales de la partition mais également sur des gestes physiques de son instrumentiste attitré, chaque danseur devient le prolongement d'un autre, ou son écho visuel, son miroir temporel, et, les musiciens dansent avec leurs instruments et les danseurs jouent avec leur corps ; tourbillons des corps-gestes et tourbillons des instrumentistes, comme un questionnement sur la contraction et la dilatation du temps, dans les boucles de la musique ; ils reprennent ces figures concentriques (ici centripètes ou centrifuges), tournant autour d'un corps pivot dans un geste rotatif ample qui rappelle celui du lanceur de poids (pour les 3 danseurs qui interprètent les cordes) ou d'un roseau qui plie mais ne rompt pas (les filles incarnent les instruments à vent), tandis que le piano grande-queue, qui est tourné lui aussi, est illustré par un danseur fougueux et presque improvisateur ; dessinés à la craie sur le sol noir, des entrelacs, des courbes, des volutes, des cercles, des ovales, des ellipses, des orbites, des trajectoires sinusoïdales, tous plus ou moins enchevêtrés, occupent tout le plateau du Théâtre de la Ville (pour nous, le 6 Mai 2014), à Paris, pour évoquer le vortex, cette tornade qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Une bien belle soirée, même si l'on aurait aimé un peu plus de profondeur dans l'analyse chorégraphique de la partition au-delà des tourbillons du temps, et, plus de variété et plus d'inspiration originale dans les gestes, assez simples et sobres, des danseurs en regard de l'ambition de la musique.

Terminons enfin, par l'alléchante transposition, par le jeune (encore, il est né en 1965) compositeur Brice Pauset, de la Berceuse des "Quatre Chants pour Franchir le Seuil" (1997), pour mezzo-soprano et petit ensemble de chambre de 8 musiciens, une transposition de la pièce-testament pour grand ensemble de Gérard Grisey (il devait mourir brusquement peu après l'avoir terminée et la création a été posthume) ; cette création, si l'on peut dire, plutôt cette première (en France, car la vraie première date de 1999 en Allemagne, au festival de Witten) a eu lieu le 24 Octobre 2014, à l'Eglise Saint Merri, à Paris, par l'Ensemble Soundinitiative ; on admire le travail d'orfèvre de Brice Pauset (lui-même élève de Grisey) dans sa transposition (qui n'est pas une simple réduction) pour donner à la "Berceuse" tout son caractère doux, alangui, avec la même lecture du temps et du rythme que dans la partition de Grisey (c'est-à-dire tout sauf simple), en souhaitant qu'il continue sur d'autres parties de cette longue pièce (le catalogue de Grisey étant très limité, en raison de sa production lente et de sa mort prématurée). Une partition convaincante (raffinée et subtile) pour une exécution un peu moins convaincante par un très jeune chef, Leonhard Garms, qui n'a pas encore dans sa besace tout le vocabulaire de rythmes et de timbres du génial co-inventeur de l'esthétique spectrale, dernière révolution musicale du 20ème siècle finissant.

Post-Scriptum (19 Août 2017) : la renommée de Grisey est amplifiée outre-Rhin par un hommage spécial lors du prestigieux Festival d'«Été» de Salzbourg avec 8 pièces au programme de 6 concerts (dont la reprise de la chorégraphie de Theresa de Keersmaeker pour le "Vortex Temporum", et les (un peu) plus rares "Le Temps et l’Écume" pour 4 percussionistes, 2 synthésiseurs et ensemble de chambre, "Stèle" pour 2 percussionistes, "Tempus ex machina" pour 6 percussionistes et "Accords perdus" pour 2 cors, sous la direction notamment de Peter Rundel avec le KlangForum Wien, et enfin une interprétation ébouriffante, selon un mélomane Allemand, des "Espaces acoustiques" par le jeune chef Maxime Pascal) de fin Juillet à mi-Août 2017… plus d'infos ICI.
Il faut aussi signaler la reprise, lors du festival de l'Ircam en Juin 2017, à Paris, de la version du "Prologue" pour alto et électronique en direct, auquel Grégoire Simon fait allusion dans son entretien.

Jean Huber

* : pour aller plus loin : extraits audio-vidéo de "Les Espaces acoustiques" 1ère partie, 52 minutes (précisément le concert présenté ici), puis 2ème partie, 42 minutes | "Vortex Temporum" (extrait chorégraphie) | "Vortex Temporum" (complet, non chorégraphié) | "Quatre Chants pour Franchir le Seuil" (version complète) | "Chants de l'Amour" (version standard) | "Echanges" (version standard) | "Anubis-Nout" (version standard) | "Le Noir de l'Étoile" (version standard)
**, *** : pour info, Monolake sur   Wiki et sur SoundCloud et Marcel Dettman sur Wiki et sur SoundCloud



Actualisation : 11 Janvier 2024

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